TITAN : UN MONDE ACTIF AU POTENTIEL PREBIOTIQUE

Publié le par Lionel Bouton

La SAF, l'Association Planète Mars, l'ESA et le CNES ont offert une soirée de rêve aux passionnés de planétologie vendredi 8 Avril avec la réunion au complet de l'équipe scientifique française qui a travaillé sur les résultats de Huygens après la descente sur Titan réussie magistralement par l'ESA en collaboration avec la Nasa le 14 janvier dernier.

Les scientifiques suivants étaient venus présenter leur travail et les premières conclusions qu'on peut tirer de l'analyse des données transmises par la panoplie d'instruments d'Huygens pendant les 30 minutes de la descente et depuis le sol :

Jean-Pierre Lebreton responsable scientifique de la mission Huygens pour l'ESA devant les médias

Bruno Bezard et Athena Coustenis de l'Observatoire de Paris-Meudon, LESIA-CNRS, co-responsables DISR (Descent Imager Spectral Radiometer)

Marcello Fulchignoni de l'Observatoire de Paris-Meudon, LESIA-CNRS, responsable scientifique HASI (Huygens Atmospheric Structure Instrument) qui a présenté aussi les résultats du SSP (Surface Science Package)

Guy Israel (responsable scientifique ACP) et Michel Cabane du Service d'Aéronomie du CNRS , pour l'expérience ACP(Aerosol Collector Pyrolyser)

François Raulin du Laboratoire Inter-universitaire des Systèmes Atmosphériques (LISA-CNRS), responsable du groupe Exobiologie et Daniel Gautier de l'Observatoire de Paris-Meudon, LESIA-CNRS, responsable du groupe Atmosphère; ont commenté les résultats du GCMS.

Après les images étranges de Titan qui évoquent notamment des réseaux de drainage et les premières analyses quelques jours après l'évènement évoquant des pluies probables de méthane, qu'a t'on appris de nouveau sur le relief de Titan, son atmosphère, la chimie du sol ?

Cet article n'a pas l'ambition de répondre déjà à ces questions car il reste encore des mois et des années de travail aux scientifiques pour comprendre les données, les recouper, vérifier expérimentalement certaines hypothèses... c'est un travail de Titan :)  auquel des générations à venir vont se consacrer pendant 10,20,30 ans..  comme certains scientifiques qui travaillent encore aujourd'hui sur les données des sondes Voyager.

Il ne s'agit que de quelques notes prises à la volée et qui peuvent contenir des déformations, mais comme il s'agit de la première communication au grand public de résultats majeurs avec un certain recul, cela peut vous intéresser en attendant des articles  à venir dans Nature le 15 Avril...

 

Quelles surprises ?

 

- le spin de Huygens (mouvement de rotation) : JP Lebreton a souligné que Huygens a connu une descente très agitée à la fin sous le 3° parachute et surtout qu'elle a tourné comme attendu, mais à l'envers par rapport aux prévisions !

- un signal inconnu a été capté à 1 Hz par le senseur accoustique pendant la descente, sans qu'on sache s'il est lié ou pas à la turbulence atmosphérique.

- une inversion de température très importante a lieu vers 500 km d'altitude qui pourrait être liée à des ondes de gravité sous l'influence de Saturne

- la vitesse des vents tombe à 0 vers 80-70 km d'altitude avant de reprendre, c'est imprévu par les modèles de circulation atmosphérique.

- Les aérosols existent de 150 km d'altitude à la surface mais sont différents des modèles : les particules sont plus grosses que prévues  (de l'ordre de 0,1 µm) et leur variation spectrale est plus faible que prévue car elles sont irrégulières (de forme fractale).

Sur ce spectre infrarouge enregistré par l'instrument DISR à plusieurs altitudes, les flèches indiquent les raies d'absorption du méthane. Le plateau entre 1430 et 1580 nm est probablement dû à l’absorption par la glace d’eau. (ESA/NASA/University of Arizona/Observatoire de Paris-Meudon )

 

- Le méthane est beaucoup plus présent à la surface : 5 % de l'atmosphère au niveau du sol contre 1,5 % en altitude. Le GCMS de Huygens a enregistré une "bouffée de méthane" peu après l'atterrissage suggérant qu'il est présent sous forme de glace près de la surface et s'est sublimé avec la chaleur dégagée par la sonde.

- Où est passé l'éthane (C2H6) qui semble peu abondant sur les mesures au sol contrairement à ce que prévoyaient les modèles?

 

Quels dysfonctionnements ?

 

- L'oubli d'une ligne de commande (erreur humaine attribuable à l'ESA) n'a pas ouvert le canal A de Cassini, ce qui a entraîné la perte de 350 images de DISR et l'expérience de mesure des vents par effet Doppler (DWE) n'a pu être effectuée entre Huygens et Cassini en orbite à 60 000 km , mais elle a été reconstituée grâce aux données radio recueillies par les grands télescopes terrestres.

- Un senseur solaire sur DISR a mal fonctionné, ce qui pose un problème d'interprétation des spectres (calibrage).

- L'arrêt de fonction d'une source ionique sur le chromatographe en phase gazeuse (GCMS) a entraîné la perte des données correspondant à la colonne séparant CO de N2.

 

Quoi de nouveau sur l'atmosphère de Titan ?

 

L'activité dynamique de la haute atmosphère de Titan est remarquablement mise en valeur par cette vidéo réalisée grâce à 71 images prises par la camera VIMS de Cassini (NASA/JPL/Space Science Institute )

L'atmosphère a été détectée vers 1600 km, elle est donc très épaisse ! A 1174 km, sa densité est comprise entre 1,25 et 1,7 : c'est important de le savoir pour paramétrer les futurs passages de Cassini qui frôlera littéralement Titan à 1025 km le 16 Avril.

Le profil des vents est très variable, ils sont rapides en altitude (de l'ordre de 120-130 km/h) et diminuent ensuite avant de tomber brusquement à 80 km (d'où un pic de température) puis ils reprennent tout en restant modérés près de la surface où le "jet stream" (vents d'ouest) a fait dériver la sonde vers le Nord Ouest. Ce régime au sol est trois fois plus lent que dans les modèles.

Dans la haute atmosphère le spectre de masse fait apparaître la domination de l'azote moléculaire (N2), un peu de méthane, un pic de l'argon (10Ar), des composés hydrocarbonés mineurs et aussi la confirmation de la présence de l'acide cyanhydrique (HCN), une molécule complexe à la base de toute la chimie prébiotique (qui rentre dans la formation des acides aminés, ainsi que des bases puriques et pyrimidiques des nucléotides de l'ADN)! Les profils de l'azote et du méthane augmentent vers le bas avec la densité. La lumière jaune du soleil se décale vers le rouge en allant vers le sol à cause des aérosols qui la diffusent (10 à 80 particules / cm3 selon les endroits) et la surface est quasiment plongée dans l'obscurité.

Ces aérosols sont composés de nombreux tholins, ces microparticules produites par la photodissociation du CH4 et du N2. L'ACP (four à pyrolyse à 600°C) en montre une composition avec beaucoup de NH3.

Quand ils précipitent, ces oligomères s'agrègent en particules plus grosses qui pourraient selon les modèles servir de noyaux de condensation du méthane quand il sature dans la basse atmosphère, d'où l'hypothèse de pluies qui n'ont pas été observées directement mais sont fortement suspectées. Ces pluies de méthane entraineraient une sorte de suie organique qui se déposerait dans les dépressions.

La basse atmosphère quant à elle est pauvre en composés détectables. Le méthane qui y est plus concentré ne peut pas être d'origine biologique d'après les rapports isotopiques du CH4 12C/13C, a précisé F. Raulin

Il apparaît aussi que Titan, qui tourne autour de Saturne en 16 jours, a des saisons d'une durée équivalente à 7,5 ans terrestres, avec une asymétrie dans la circulation des nuages.

En ce moment, la présence d'un vortex étrange de nuages repéré par Cassini au pôle sud à 40 km d'altitude correspond avec l'été de l'hémisphère Sud  (NASA/JPL)

 

Que sait-on de la surface et du relief ?

 

Huygens a atterri avec un impact au sol de 4,4 m/secondes. Les 3 accéléromètres du SSP ont enregistré un signal étrange que M. Fulchignoni interprète comme un rebond de la sonde qui se serait immobilisée inclinée à 11°.

Le spectre à 20 cm de la Surface (pris lors de l'allumage de la lampe sous la sonde)montre de la glace d'eau sale mélangée à quelque chose , sûrement une variété de tholin.

La température mesurée au sol est de 93,65 K et celui ci a une résistance semblable à la croûte d'une crème brûlée.

Les analyses chimiques au sol font apparaître un pic du méthane (dégagé par la chaleur de l'impact)et de l'azote moléculaire (8 %) ainsi que d'autres composés mineurs : Argon 40, éthane, ethanedinitrile, acétylène, benzène, CO2...

Huygens a atterri sur une zone de transition géomorphologique entre une "mer" ou une série de lacs asséchés (matériau noir - glace + tholins-) dominés par un plateau de glace (vraisemblablement d'eau- matériau blanc) surélevé d'une centaine de mètres, entaillé par un réseau de drainage qui n'a pu être creusé que par du méthane liquide. Athéna Coustenis a présenté une image d'artiste saisissante de ce que pourrait être ce paysage au pied de falaises de glace sale.

 

Cette mosaïque récente réalisée grâce aux images obtenues dans le proche infrarouge lors du  survol de Titan par Cassini le 31 Mars révèle des régions inconnues à l'Est de Xanadu (Nasa/JPL)

 

Et la vie dans tout ça ?

 

D'autre part des phénomènes d'extrusion de glace d'eau produite par un cryovolcanisme actif ont été observés sur les images de DISR comme ce long "bras" clair de 150 m de large(ESA)

Ce cryovolcanisme implique la présence souterraine d'eau et d'ammoniaque que D. Gautier a tenté d'expliquer par les modèles d'océan souterrain. A l'intérieur Titan serait composée à 50 % de silicates (dans le noyau) et à 50% d'H2O sous forme de glace à haute pression et d'un océan d'eau mélangée à quelques % de NH3.

 Le méthane y serait dissous et piégé dans des chlathrates (petites cages de molécules d'eau) qui seraient décomposées par le chauffage produit par la radioactivité interne de Titan (prouvée par la détection d'Argon 40 produit de la désintégration du Potassium 40). Le méthane libéré remonterait à travers des failles de la mince croute superficielle pour produire une émission continue de CH4 dans l'atmosphère.

D'autre part des flots terribles de méthane souterrain accumulé pourraient se déverser périodiquement et creuser les réseaux de drainage observés avant de se sublimer.

Reste à savoir si ce mécanisme est favorable à une chimie prébiotique aujourd'hui sur Titan. Le froid extrême qui règne à sa surface doit ralentir considérablement les réactions mais il n'est pas interdit de penser que l'accumulation de tholins qui tombent en permanence avec les pluies de méthane et s'accumulent au fond des dépressions forme une "soupe organique" dans certaines failles en contact avec de l'eau liquide remontant du sous-sol... ce qui permet en théorie des réactions moléculaires et l'amorce d'une chimie organique (= du carbone)où le HCN détecté dans l'atmosphère pourrait jouer un rôle crucial !

F. Raulin a ainsi rappelé qu'à 200 km de profondeur (où commence l'océan) les conditions de pression et de température ne seraient pas incompatibles avec la vie. Un milieu de PH basique (estimé à 11 avec une proportion de 15 % de NH3) n'empêche pas sur Terre des bactéries adaptées dites alkaliphiles d'y vivre...

 

 Un poster de Kevin Dawson (amateur canadien) résumant bien les différentes étapes et les découvertes de la mission.

 

Publié dans solarnews

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