MARS EXPRESS BOULEVERSE LES SCENARIOS SUR LA PLANETE ROUGE (2)

Publié le par Lionel Bouton

Un peu plus d’un an après le début de la mission de Mars Express (d’une durée nominale de 2 ans ), une conférence scientifique de l’ESA vient de se tenir aux Pays-Bas pour faire le bilan des observations réalisées par les 7 instruments embarqués (rappelons que le radar Marsis a pris du retard et que son déploiement a été annoncé pour début mai par l’ESA, mais des tests complémentaires doivent encore être menés et de l’avis des scientifiques eux-mêmes, cela reste conditionnel).

 

(ESA)

La complémentarité des instruments de Mars Express permet de faire pour la première fois un bilan global de toutes les enveloppes (haute et basse atmosphère ; surface ; subsurface ) et de confirmer ou pas les dernières observations des sondes américaines MGS et Mars Odyssey.

Plutôt qu’une approche chronologique des découvertes biaisée par les « effets d’annonce » médiatiques de l’ESA , ou une approche instrument par instrument qui serait vite ennuyeuse, nous préférons mettre en lumière les résultats de Mars Express à travers quelques questions de base :

 

  • 1/Qu’a t on appris au sujet de l’atmosphère actuelle de Mars ?

Rappelons que l’atmosphère très ténue de Mars se compose ainsi :

95,3 % de CO2

2,7 % d’azote

1,6 % d’argon

0,13 % d’oxygène

mais de nombreuses réactions photochimiques mal connues ont lieu sous l’action du vent solaire, des UV et des rayons cosmiques qui aboutissent à la création et à la destruction de composés mineurs pendant le « cycle des espèces volatiles » (CO2, H2O).

 

Dernièrement le spectromètre SPICAM  (développé notamment par Jean Loup Bertaux du service d’Aéronomie du CNRS) a mesuré une lumière ultraviolette du côté nuit de Mars émise au niveau du pôle Sud. Le même phénomène avait été détecté sur Venus : la lumière provient de molécules d'oxyde d'azote (NO) : un atome d'azote (N) se combine avec un atome d'oxygène (O) pour former une molécule. Celle-ci est créée dans un état dit « excité » et se désexcite spontanément en émettant un rayonnement ultraviolet.  Les atomes O et N en cause proviennent de la décomposition du CO2 et du N2 par le rayonnement UV dans la haute atmosphère du côté jour de la planète.

 

Calotte polaire Sud l'été (image de MGS/MSSS/NASA)

 

Ceux-ci redescendent et se concentrent au pôle Sud où la calotte épaisse de glace carbonique (30 % de l’atmosphère condensée l’hiver) crée un appel d’air, sorte de « puits froid » où les atomes se recombinent en oxyde d’azote.

 

Ce type d'observation permet de mieux comprendre les mouvements de l'atmosphère martienne et d'en faire des modèles de circulation générale. Des modèles existent déjà pour la planète Mars (notamment un modèle de circulation générale de l'atmosphère de Mars qui fait actuellement référence, développé par le laboratoire de météorologie dynamique du CNRS sous la direction de François Forget), mais ils sont encore incertains en ce qui concerne la haute atmosphère (80 à 150 km), par manque quasi-total de mesures.

 

Vue d'artiste de Mars Express (ESA)

 

Or, c'est dans cette haute atmosphère que des manoeuvres orbitales d’aérofreinage sont prévues pour des missions futures, utilisant le freinage atmosphérique (délicat compte tenu de l’atmosphère très ténue), ce qui permettrait de limiter la quantité de carburant à emporter et de gagner en charge utile pour les instruments scientifiques.

Il est donc primordial de mieux comprendre cette atmosphère et de la décrire par des modèles fiables. Les nouvelles mesures  de SPICAM qui a effectué le premier sondage vertical complet de la densité atmosphérique de Mars (grâce à la technique de l’occultation d’étoile) apportent une contribution majeure à cette compréhension.

 

 

Lever de soleil sur Mars vu d'après les images de Pathfinder en 1997 (NASA/JPL-2005)

 

D’autres mesures très intéressantes de Spicam concernent aussi la mesure des taux d’ozone et de vapeur d’eau dans l’atmosphère de Mars. Ces 2 gaz n’existent qu’à l’état de traces et l’ozone(O3)est formé provisoirement par photodissociation du CO2 (puis de l'O2) par les UV dans la haute atmosphère. Spicam a révélé que plus il y a de vapeur d’eau à certains endroits de l’atmosphère, moins il y a d’ozone. On savait déjà que la chimie atmosphérique implique que les radicaux OH produits par photodissociation de H2O soient de puissants catalyseurs de la destruction de l’ozone (de même que certains gaz CFC qui attaquent la couche d’ozone terrestre).

 

Heureusement sur Terre l’essentiel de la couche d’ozone est contenue dans la stratosphère (> 20 km d’altitude) et échappe donc à cette destruction catalytique car la vapeur d’eau gèle à ces altitudes et est confinée en dessous. Mais cette destruction de l’ozone active sur Mars (concentration 200 fois moindre que sur terre) a empêché la formation d’une couche protectrice contre les UV et a contribué à stériliser le sol par des agents oxydants (d'où son aspect de planète "rouillée" car les roches riches en fer ont été altérées)défavorables à l’existence de la vie ou à son maintien en surface.

 

 

  • 2/Comment Mars a t’elle perdu son atmosphère primitive dense en CO2 ?

 

L’instrument suédois Aspera à bord de Mars Express a pour but de comprendre les processus d’échappement de l’atmosphère martienne qui expliquent la très faible pression actuelle (6 hectopascals contre 1010 sur Terre soit moins d’1 % de celle de l’atmosphère terrestre) qui empêche depuis longtemps l’existence stable de l’eau en phase liquide.

 

Mais il est difficile de savoir quand Mars et la Terre ont connu une évolution divergente, c'est-à-dire à quel moment les processus de destruction l’ont emporté sur le renouvellement de l’atmosphère.

Mars est bombardée en permanence par des particules chargées (alpha et électrons) provenant du soleil qui érodent cette atmosphère.

 

La disparition de la magnétosphère de Mars il y a 3,8 milliards d’années (par refroidissement du noyau liquide, la dissipation de l’énergie interne par conduction prenant le relais du processus de convection à l’origine de l’effet dynamo) n’a plus permis de protéger l’atmosphère primitive du vent solaire et le CO2 en particulier doit avoir subit depuis un échappement continu de quantités colossales.

 

Les spectromètres à plasma et l’imageur d’atomes d’Aspera  ont fait des mesures du balayage global et ont montré que le vent solaire  pénètre très profondément la haute atmosphère jusqu’à une altitude de 270 km.

 

 

(Credit : Barabash/Aspera/Esa)

 

La conséquence est que les ions lourds (O+) sont accélérés à une vitesse de 400 km/sec et viennent heurter et casser les molécules de CO2, causant leur échappement.

 

 

     3/A t’on trouvé où est passée l’eau de Mars ?

 

L’eau n’existe plus qu’à l’état de traces dans l’atmosphère martienne, révélées de temps en temps sur les images des sondes et des rovers par la présence de nuages d’altitude (cirrus) sur les reliefs volcaniques et une mince couche de givre photographiée par les lander Viking au petit matin.

 

Utopia Planitia photographiée par Viking 2 (NASA/JPL)

 

Pourtant Mars disposait comme la Terre d’une masse d’eau énorme lors de sa formation il y a 4,5 milliards d’années, évaluée par certains chercheurs à 10 % de la masse des planétésimaux qui ont formé la planète par accrétion. Par dégazage lors du processus de différenciation, cette vapeur d’eau a dû former une part importante de l’atmosphère primitive, à laquelle il faut ajouter l’eau apportée par les comètes et les météorites hydratés lors de la phase de bombardement primitif intense de 4,5 à 3,8 milliards d’années (période Noachienne).

 

Mars ayant une masse beaucoup plus petite que la Terre, sa gravité n’a pas permis de retenir son atmosphère primitive et elle s’est refroidie très vite, d’autant que son activité interne a décru, le volcanisme de panache devenant insuffisant pour renouveler son atmosphère.

 

Quelle proportion de son eau initiale a-t-elle alors perdu et quelles quantités demeurent en profondeur ?

Il y a en fait 3 mécanismes qui ont affecté l’hydrosphère martienne au cours de son histoire :

 

- échappement atmosphérique par la photodissociation et l’action du vent solaire :

 

Le vent planétaire est dominé par l’oxygène atomique et moléculaire et l’échappement d’atomes d’hydrogène rapides a été mesuré par Aspera, suggérant que des molécules d’eau cassées dans la haute atmosphère peuvent en être la source.

 

 

Les molécules d’eau sont cassées par le vent solaire et les rayons cosmisques. Les atomes d’hydrogène sont les plus légers et davantage emportés. ( Aspera/Esa)

 

- condensation dans les calottes polaires :

 

Mars possède deux calottes polaires blanches qui changent suivant les saisons, une partie du CO2 se sublimant l’été et se condensant en givre l’hiver (en dessous de – 120°C). La calotte polaire Nord est beaucoup plus étendue l’été (1100 km de large) alors que la calotte permanente Sud est plus restreinte (420 km) mais plus froide. 

La composition en glaces carbonique  ou d'eau est restée controversée jusqu'à très récemment.

 

Les observations de Mars Odyssey avaient montré, par des arguments indirects, la présence de glace d’eau dans la calotte polaire sud (que l’on croyait auparavant composée exclusivement de gaz carbonique). Les mesures d’OMEGA en janvier-février 2004 ont permis les premières détections directes de la répartition des deux types de glace ; la saison martienne de l’hémisphère sud étant alors la fin de l’été, cette détection montre que ces glaces d’eau sont présentes en permanence dans les interstices de la glace carbonique.

 

 

 

Le pôle Sud de Mars vu par Omega en février 2004. Les fausses couleurs représentent en bleu la glace d’eau et en rose la glace de CO2 (Omega/Esa)

 

 

 Les proportions dans la partie centrale de la calotte Sud montrent 85 % de glace carbonique pour 15 % de glace d’eau. Une seconde auréole est formée d’escarpements composés de glace d’eau pure qui marquent la limite entre la calotte et les plaines environnantes. Celles-ci enfin sont composées d’un permafrost qui s’étend sur des centaines de kilomètres² alentours, mélange de glace sale et de poussières révélé par les données infrarouges. Les analyses de Marsis permettront d’évaluer l’épaisseur de cette glace d’eau pour déterminer le volume qu’elle renferme.

Vue tridimensionnelle de la calotte polaire Sud reconstituée. Le blanc indique la glace carbonique alors que le bleu montre les terrains riches en glace d’eau. (G. Bellucci et JP.Bibring/Omega/ESA)

 

 

 

Un gigantesque glacier  d’eau recouvert par une pellicule de glace de Co2 plus mince (DLR/Omega/ESA)

 

 Le spectromètre gamma de Mars Odyssey (GRS) avait déjà montré que la calotte polaire Nord était composée en majorité de glace d’eau. Omega l’a confirmé et les images de la caméra de Mars Express ont montré pour la première fois en relief des couches de glace d’eau et de cendres volcaniques alternées.

 

Des couches alternées de glace et de cendres volcaniques au pôle Nord (ESA/DLR/FU-Berlin)

 

Les zones voisines du pôle Nord semblent d’ailleurs avoir connu une activité volcanique récente à l’échelle géologiques avec la découverte d’une série de petits cônes volcaniques de 100 à 600 mètres dont certains pourraient encore être en  formation d’après le chercheur allemand Gerhard Neukum.

Des images plus précises de la caméra HSRC sont attendues pour juger, mais un canal de celle-ci semble mal fonctionner et empêcher de descendre à la résolution la plus fine de 2,3 mètres.

 

De jeunes cônes volcaniques au pôle Nord (ESA/DLR/FU-Berlin)

 

- enfoncement de l'eau sous forme de glace diffuse dans le pergélisol ou de couches en profondeur.

 

Le spectromètre à rayons gamma / imageur à neutrons GRS de Mars Odyssey avait détecté d’importantes concentrations de deutérium juste sous la surface de Mars dans les régions polaires.

Cela a été interprété comme une couche de glace très étendue située à environ 1 mètre sous la surface (60 % dans le premier mètre aux hautes latitudes). On attend bien sûr les radar Marsis et Sharad (futur radar de la sonde Mars Reconnaissance Orbiter qui doit atteindre Mars en 2006) pour effectuer un sondage du sol en profondeur et confirmer cette hypothèse d’une banquise souterraine.

 

 

Mais il faut noter que l’existence d’un permafrost sur Mars aux latitudes équatoriales est encore discuté par certains scientifiques comme Bibring qui font valoir qu’Omega n’a pas trouvé de minéral hydraté autour  des cratères à éjectas lobés.

 

Pourtant mi février une annonce spectaculaire a été faite par John Murray de l’Open University (GB) qui travaille sur les images de la caméra à haute résolution (HRSC) de Mars Express : des images à la surface d’Elysium Planitia montrent sur une zone très vaste (900 km sur 800 de large) des sortes d'iceberg enfouis qui peuvent être interprétés comme des vestiges d’une mer gelée.

 

 

 

 Des structures souterraines qui font penser aux icebergs de l’Antarctique (ESA/DLR)

 

 Ce n’est pas la première fois car les images de la caméra de MGS ont déjà montré sur Mars des polygones semblables à ceux qui se forment sur Terre dans les régions arctiques quand un sol riche en eau subit des alternances de gel/ dégel.

La grande presse et même l’ESA ont fait des annonces spectaculaires, parlant de glaciers souterrains de 45 mètres de profondeur recouverts par une couche de cendres volcaniques mais il faut rester prudent.

 

Cette "mer gelée" se serait formée il y a seulement 5 millions d’années, mais par quel processus ?

 

Certains avancent l’idée d’un réservoir d’eau souterrain qui se serait vidé brusquement car on peut suivre aisément les vallées de débâcle que l’eau a creusé juste au sud de cette zone à partir des fractures de Cerberus Fossae . Puis cette eau aurait gelée et aurait été recouverte par une couche de cendres produite par les éruptions des volcans voisins d’Elysium , l’empêchant de se sublimer dans l’atmosphère. Ces glaciers se seraient ensuite brisés sous l’action de processus géothermiques et les blocs auraient dérivé jusqu’à former les polygones actuels.

 

 

Contexte général d’Elysium Planitia. La proximité de grands volcans actifs récemment rend possible des processus géothermiques (ESA)

 

Mais selon JP Bibring cette explication n’est guère convaincante : il ne croit pas que les polygones découverts sur les images d'Elysium Planitia soient la preuve d' une banquise souterraine car Omega n'a pas détecté d'indices d'eau sous la couche de poussières et il avance une autre explication : il y a 5 millions d'années Mars a connu une variation de son obliquité (phénomène cyclique dans l'histoire de la planète) qui a réchauffé les pôles et refroidit au contraire cette région de l'Equateur. L'axe de rotation de Mars est incliné de 25° sur son plan orbital (c'est 23°27' pour la Terre). Pour la Terre, cette inclinaison ne varie qu'entre 22 et 25° car la lune stabilise la Terre. Sur Mars, cette obliquité peut varier de 10 à 60°suivant des cycles complexes .

 

 

Variations de l’obliquité martienne : elles entraîneraient des modifications climatiques notables avec un âge glaciaire à l’Equateur  sur la seconde "image"  (© ASD/IMCCE-CNRS, d'après Jim Head/Brown University et NASA/JPL)


Lors d'un de ces basculements, la glace d'eau des pôles s'est sublimée en vapeur d'eau qui a migré vers l'Equateur où elle s'est condensée à nouveau en banquise avant d'être recouverte effectivement par une couche de poussières... mais cette glace ne serait plus présente car elle se serait sublimée en percolant à travers la couche superficielle quand l'inclinaison de Mars a réchauffé à nouveau les régions équatoriales.


Pour lui ces "pseudo-blocs" ne sont plus que les témoins d'une banquise qui n'existe plus et il n'y a jamais eu d'eau liquide ici…Pourtant certains avancent que des indices troublants militent en faveur de blocs de glace souterraine qui ne se sublimeraient que très lentement (surface très horizontale, cratères peu profonds). On ne peut même pas exclure l’hypothèse de blocs de basaltes !

 

Hélas le radar Marsis ne pourra pas apporter de révélations pour trancher ce débat car sa résolution est trop basse : il a été conçu pour sonder la croûte martienne à des profondeurs de plusieurs kilomètres et pas si près de la surface.

 

Bientôt nous aborderons le dernier volet de ce dossier avec les indices relevés par Mars Express sur le passé ancien de Mars et les pistes à suivre dans la recherche de formes de vie souterraines…

 

 

 SOURCES :

 

- Communiqué du CNRS du 23 janvier 2004

- Sites de l'ESA (présentations PDF des résultats des instruments par les PI lors de la conférence du 24 Mars à l'ESA) et du JPL pour Mars Odyssey.

- Communiqué de l'ESA du 23 février 2005 : "ESA's Mars Express sees signs of a frozen sea"

- Article de news Nature du 22 février 2005 :"Mars may have a frozen sea"

 

- Conférence de JP Bibring à l'IAS le 4 Mars

 

Articles du Monde :

- du 21/02/05: "Des vestiges d'une mer gelée existeraient sous la surface de Mars"

- du 22/02/2005: "La recherche de l'eau raconte l'histoire de Mars"

 

- Article de Libération : "Des épisodes humides épars et localisés" (interview de JP Bibring le 18 février 2005).

 

Publié dans solarnews

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article