MARS EXPRESS BOULEVERSE LES SCENARIOS DU PASSE DE LA PLANETE ROUGE 3
- A ton trouvé des indices sur le passé de Mars ? Mars Express a telle permis de confirmer la thèse dominante dune période chaude et humide ?
Avant daborder directement les enseignements à tirer des observations de Mars Express et notamment des résultats dOmega, il convient de faire un rapide rappel des connaissances acquises jusquici grâce aux sondes précédentes.
La question de leau liquide et de la durée quelle a pu subsister (pendant que Mars disposait de conditions de T° et de pression suffisantes) est bien sûr capitale car cest la condition dune éventuelle apparition de la vie sur Mars, planète qui sest formée à partir des mêmes matériaux que la Terre, mais avec le handicap dêtre beaucoup moins massive et plus loin du soleil, et donc de sêtre refroidie très vite.
Mars ne connaissant pas de tectonique des plaques ni dérosion récente, les traces de son passé nont pas été effacées comme sur Terre.
Les études minéralogiques et géomorphologiques de Mars se sont concentrées très tôt sur la question de leau liquide et des reliefs quelle a pu façonner.
Un chenal découlement dans Reull Vallis (une des premières image de la caméra à haute résolution de Mars Express- ESA/DLR/FU Berlin (G. Neukum) )
Quels sont les indices laissés par leau liquide dans le passé de Mars?
Dès 1971 les images de Mariner 9 révélaient des réseaux fluviatiles ramifiés sur les hauts plateaux de lhémisphère Sud suggérant que des quantités deau ont coulé à une époque reculée (Noachien).
Des réseaux dentritiques révélés par les images de Mars Odyssey (NASA/JPL)
Les nombreux cratères à éjectas lobés évoquent aussi un sous-sol gorgé deau vaporisée par lénergie des impacts.
Cratère dans Medusa Fossae révélant un pergélisol liquéfié par limpact (image de la camera HRSC de Mars 2005- credit ESA/DLR/FU Berlin (G. Neukum) )
Puis les images de Viking et de la caméra MOC de MGS ont surpris par les reliefs de vallées de débâcle apparemment modelées par des inondations brutales et catastrophiques, ainsi que par des images de ravines étonnantes produits par des écoulements récents (surnommées « fontaines martiennes ») sur les flancs Nord de certains cratères.
Les « gullies » : des ravines creusées par de leau liquide à une époque récente, mais de quelle origine ?(MOC/MSSS/NASA)
On a observé aussi des sédiments disposés en strates qui pourraient être dorigine lacustres, mais sans que lon puisse affirmer que leau qui a coulé a pu perdurer à des échelles géologiques.
Laltimètre MOLA de MGS a mesuré précisément la dichotomie de Mars (Mars présente une pente prononcée des hauts plateaux du sud vers le Nord), les basses plaines du Nord plus récentes apparaissant alors à certains chercheurs comme le cadre idéal dun océan primitif dont certains croyaient voir le témoignage des rivages dans 2 « lignes de contact » dont laltitude serait régulière sur 1000 km.
Un hémisphère Sud plus élevé, ancien et cratérisé en rouge(à lexception du gigantesque bassin Hellas) et un hémisphère boréal composé de basses plaines plus récentes apparaît bien sur cette image où le bleu représente les régions quon pensait avoir été sous les eaux dans le passé (MOLA/MGS/NASA)
Mais le spectromètre infrarouge TES de Mars Odyssey inspectant la surface de Mars en 2002-2003 na pu trouver de traces significatives de carbonates alors quau contraire lolivine, un minéral caractéristique dun environnement aride, est très répandue.
Toutefois les spectromètres TES et Thémis de Mars Odyssey nayant quune résolution spectrale limitée, les mesures de linstrument OMEGA (Observatoire pour la Minéralogie, lEau, les Glaces et lActivité) de Mars Express commencées le 8 janvier 2004 étaient très attendues. Omega peut réaliser des images de la surface de Mars dans le visible avec une résolution spatiale de quelques centaines de mètres, mais aussi dans 352 couleurs couvrant le visible et linfrarouge dans un domaine spectral où la plupart des solides et des gaz ont des signatures caractéristiques. Omega permet ainsi pour la première fois de dresser des cartes minéralogiques de la surface très précises avec une résolution angulaire de 4 arcmin.
Or Omega na pas trouvé non plus de carbonates qui auraient été la signature dun ancien océan boréal (sur Terre par réaction du CO2 avec leau, celui-ci sest dissous puis a précipité en se combinant avec des ions calcium pour former du CaCO3 qui sest déposé au fond des mers sous forme de sédiments).
Les carbonates seraient un indice clé pour valider la théorie dune période chaude et humide durable dans le passé martien, avec une atmosphère épaisse permettant une pression suffisante pour que leau se maintienne à létat liquide. Selon JP Bibring, le responsable dOmega (professeur à luniversité dOrsay), « nos résultats semblent montrer quil ny a pas eu de vastes étendues deau liquide pérennes au cours des derniers 3 milliards dannées, dominées par une intense activité volcanique.
Tout se passe comme si Mars avait perdu son atmosphère très tôt dans son histoire, réduisant rapidement leffet de serre nécessaire au maintien dun climat humide et doux, surtout que durant cette période le soleil était moins rayonnant quaujourdhui. » ( de lordre de 25 %).
Aujourdhui OMEGA a déjà cartographié à basse résolution 68 % de la planète et 95% de lhémisphère Nord, ce qui permet de faire un bilan sur les indices de la présence de leau (Omega/bibring/ESA)
Nous avons déjà évoqué certains des mécanismes susceptibles dexpliquer cet échappement précoce de latmosphère primitive de Mars (absence de magnétosphère protectrice suite à un refroidissement rapide du noyau, doù un vent solaire très fort qui a érodé une atmosphère retenue par une gravité moindre que sur Terre).
On peut se demander toutefois si les carbonates produits à lépoque très ancienne (le Noachien qui se termine vers 3,7 milliards dannées) nont pas pu être eux-mêmes recouverts par des laves et des dépôts éoliens provenant des gigantesques éruptions des volcans martiens pendant les périodes Hespérienne et Amazonienne récentes (estimées entre 3,7 milliards et 2 milliards dannées). Comme le dit très bien Francis Rocard ; « labsence de preuves nest pas la preuve de labsence ».
A cela on peut objecter cependant que les nombreux cratères dimpact permettent à OMEGA dobserver le matériau sous-jacent excavé par des collisions de météores, mais dun autre côté lomniprésence de la poussière sur Mars balayée par des tempêtes périodiques contribue aussi à masquer les indices.
Pas de preuve de grandes étendues deau liquide donc, mais une hydrosphère très tôt figée sous forme de glaces souterraines ou affleurantes plus ou moins étendues.
Au total, la grande découverte avec Mars Express, c'est qu'il va falloir "apprendre à travailler sur l'eau non pas liquide mais sous forme de glace. C'est la glace qui a modelé la chimie de Mars et l'interaction entre glace et volcanisme a pu donner lieu à ces sulfates", suggère Jean-Pierre Bibring:
Glacier souterrain martien à gauche observé par Mars Express comparé à droite avec un petit glacier terrestre (ESA)
Toutefois « Mars a pu connaître depuis 3 milliards dannées des épisodes humides épars et localisés » (en fonction des variations climatiques liés aux changements dinclinaison de laxe de rotation).
Car Omega a quand même trouvé localement des minéraux hydratés qui peuvent être le produit dune altération par leau : quelques argiles, des oxydes et surtout des sels de magnésium et des sulfates qui confirment les observations in-situ faites par le rover Opportunity dans Terra Meridiani.
JP Bibring distingue particulièrement les sulfates comme une piste à creuser pour identifier les zones où des lacs voire des mers ont pu exister un certain temps.
Comment ont pu se former ces sulfates ? Uniquement par dissolution du soufre produit par le volcanisme martien dans de leau liquide où il a réagit avec du calcium, du fer et du magnésium pour former des dépôts au fond des lacs, appelés « évaporites » quand leau a disparu. Ces sulfates polyhydratés présents dans les canyons et les buttes à de nombreux endroits de Mars suggèrent que leau à létat liquide était très répandue dans le premier milliard dannées de lhistoire de Mars. De tels sédiments stratifiés comme les sulfates de calcium ou la kiesérite (sulfate de magnésium) sont visibles sur Terre dans le parc de Yellowstone ou encore la région turque de Panukake .
Ce sont donc des minéraux certifiant la présence dun épisode aqueux et JP Bibring indique 4 zones sur Mars particulièrement intéressantes pour des investigations plus poussées :
Mesa dans Valles Marineris ( ESA/DLR/FU Berlin (G. Neukum) )
- Une dizaine de sites au fond de Valles Marineris où des sels depsom (magnésium) comme la kieserite forment des dépôts brillants stratifiés. Ces sulfates connus pour piéger de grandes quantités deau intéressent la NASA qui prévoit déquiper un prochain rover (MSL ) avec un diffractomètre à rayons X miniaturisé pour analyser les propriétés de ces cristaux.
- Terra Meridiani où un gigantesque affleurement de sulfates est localisé à 400 km au Nord-Est du sîte dOpportunity. Les sulfates acides détectés aussi par le rover sur de nombreuses roches auraient été dégagés par endroits par des processus dérosion éolienne mais il ne se trouverait quà la périphérie du gisement principal.
Opportunity à 400 km dune mine de sulfates !
- les zones les plus anciennes de Syrtis Major où Omega a identifié des argiles et des minéraux hydratés avec un PH + neutre.
- Une large étendue de gypse (sulfate de calcium dihydraté CaSO4.2H2O => contient ~30 % deau ) près du pôle Nord (80 km sur 30 km), une « pierre à plâtre » formée à lorigine dans des lagunes marines sursaturées où on a des chances de trouver les traces dune activité chimique passée voire des microfossiles laissés par une vie primitive.
Vue polaire de la zone contenant du Gypse (Omega/ESA/IAS)
Ce site devrait donc être désigné comme prioritaire par les scientifiques français pour la future mission EXOMARS et la NASA sy intéresse de près. Daprès Yves Langevin, cosignataire des 6 articles du numéro de la revue Science du 18 février, « lidée qui vient immédiatement à lesprit en voyant cette zone, cest celle du Grand lac salé. Peut-être ce phénomène correspond-il à des coulées deaux parties de la calotte de glace polaire ».
Mais les géologues doivent encore déterminer si les sulfates localisés par Omega ne sont les fruits que de réactions chimiques locales ou sils constituent des affleurements de couches plus vastes enfouies depuis plus de 3 milliards dannées.
· A ton encore une chance de trouver la vie aujourdhui ?
Sans effet de serre depuis 3 milliards dannées, difficile d'imaginer une planète chaude et humide avec des mers stables pendant de longues périodes...
Autant dire que ce n'est pas une hypothèse favorable à la naissance de la vie
Cependant cela n'exclut pas dans le passé très ancien de Mars (entre 3,8 milliards- fin du bombardement primitif- et 3 milliards dannées environ) la présence locale et temporaire d'eaux stagnantes, une eau très acide et soufrée comme les analyses d' Opportunity ont pu le démontrer dans Terra Meridiani. Mais ce type de mer ayant connu des cycles d'assèchement périodique, la vie a t'elle pu démarrer puis surmonter ces obstacles ?
- Conférence de JP Bibring à l'IAS le 4 Mars 2005
- article de Bibring et al :"Mars surface diversity as revealed by the OMEGA/MARS EXPRESS observations" de la revue Science du 11 Mars 2005 (vol307)
Articles du Monde :
- du 21/02/05: "Des vestiges d'une mer gelée existeraient sous la surface de Mars"
- du 22/02/2005: "La recherche de l'eau raconte l'histoire de Mars"
- Articles de Libération : "Des épisodes humides épars et localisés" (interview de JP Bibring )l
et "Les minéraux de Mars révèlent son passé"
le 18 février 2005).