MARS EXPRESS BOULEVERSE LES SCENARIOS SUR LA PLANETE ROUGE (1)

Publié le par Lionel Bouton

 

La sonde européenne Mars Express est en orbite depuis un peu plus d'un an autour de Mars, ce qui est déjà un exploit car pour son premier essai l'ESA a réussit là où bien des missions avaient échouées (qu'on repense à la série noire des missions russes comme Mars 96 ou des sondes de la NASA Mars Climate Observer et Mars Polar Lander disparues en 1999...). Bien sûr il a fallu surmonter la déception de la perte de Beagle 2, le petit atterrisseur dédié à des analyses exobiologiques qui n'a jamais donné signe de vie après son largage à Noël 2003, et le report du déploiement du radar Marsis, un instrument pourtant très attendu par la communauté scientifique pour sonder le sous-sol de Mars et déceler les éventuelles réserves d'eau en profondeur.

 

Beagle 2 (vue d'artiste- crédit ESA) devait mener d'importantes analyses de recherche de traces de vie passée à la surface de Mars. Après une séparation d'avec Mars Express le 19 décembre 2003, il n'a plus envoyé de signal depuis la surface de Mars (Isidis planitia). Après une commision d'enquête, l'ESA n'a pas blâmé son concepteur le Pr anglais Pillinger mais a mis l'échec sur le compte de "raisons d'ordre programmatique et organisationnel".

 

L'ESA a reporté son déploiement au printemps 2004 de peur qu'il n'endommage la sonde car les tests avant le départ n'avaient pas été assez précis; mais récemment l'ESA vient d'annoncer que la décision d'ouvrir MARSIS au mois de Mai prochain avait finalement été prise en assumant des risques de dommages mineurs (suite à de longues études réalisées en partenariat avec le JPL).

Cette bonne nouvelle coincide avec le premier sommet scientifique consacré à Mars Express que l'ESA organise aux PaysBas la semaine prochaine. Des résultats importants devraient y être communiqués par les responsables scientifiques des 7 instruments qui font de Mars Express un véritable observatoire très performant en orbite pour ausculter la planète rouge sous toutes les coutures, connaitre en détail la composition du sol et du sous-sol et les mécanismes actuels de son climat pour mieux comprendre l'histoire de notre voisine...

Un exemple d'image 3D anaglyphe de la caméra de mars Express : Eos Chasma au sud de Valles Marineris (crédit : ESA/DLR/FU Berlin)

Depuis un an dans les médias on a beaucoup parlé des rovers MER américains car les images spectaculaires qu'ils transmettent sont plus proches de notre perception quotidienne que des courbes de données austères (bien que les images 3D de la caméra à haute résolution soient somptueuses aussi-nous y reviendrons- mais l'ESA n'a pas le budget de communication de la NASA...- voir en annexe II les différentes missions martiennes programmées).

Pourtant les résultats scientifiques de Mars express déjà annoncés sont d'une importance considérables et remettent en cause bien des modèles établis de Mars...

Rappel des objectifs, des instruments et du parcours de Mars Express:

Mars express a été lancée le 2 juin 2003 (profitant de la fenêtre de tir exceptionnelle avec le passage de Mars à l'opposition) de Baïkonour par un lanceur russe Soyouz-Frégate et a mis 6 mois pour parcourir les 400 millions de km du voyage (suivant une trajectoire tendue de Höhman) avant de larguer Beagle 2 à Noël et de se placer sur une orbite de capture avec Mars qui a été ramenée progressivement à une orbite polaire de 7,5 heures qui s'approche à 250 km de Mars.

Manoeuvre de capture progressive (crédit : ESA)

 

D'un coût modeste de 150 millions d'euros (à comparer aux 900 millions de $ des rovers MER) Mars Express innove le modèle des missions spatiales européennes à bas coût car elle a été conçue en un temps record en reprenant une grande partie des expériences conçues pour la mission russe Mars 96 qui a malheureusement explosé au décollage... elle partage aussi certains instruments avec deux autres sondes européennes du même type : Rosetta, la sonde qui doit étudier de près une comète en 2014 et Venus Express qui doit être lancée cet automne.La sonde a été réalisée par un consortium européen mené par EADS Astrium.

Alimentée en énergie par des panneaux solaires et une batterie pendant les éclipses, disposant de 267 litres d'ergols pour son injection orbitale et ses corrections de trajectoires, Mars Express emporte donc le lander Beagle 2 et une palette de 7 instruments scientifiques* (voir Annexe I) bardés de capteurs, ainsi que bien sûr un ordinateur de bord et un système de transmission radio avec la terre, mais aussi avec les rovers américains qui arriveront au cours du mois de janvier 2004 (Mars Express fait partie de "l'armada martienne" qui compte 3 lander à l'origine et 4 sondes avec les sondes américaines Mars Odyssey depuis 2001 et Mars Global Surveyor en orbite depuis 1997- ainsi que l'orbiteur japonais Nozomi qui n'arrivera jamais...).

A plusieurs reprises, des expériences de relais d'instructions et de données seront réalisées avec succès entre Mars Express et les rovers américains, démontrant ainsi les possibilités de la coopération internationale.

 

La mission scientifique d'une année martienne ( 687 jours) a pour objectifs principaux d'étudier en détail l'atmosphère, la surface et le sous-sol de Mars pour compléter les éléments dont dispose la communauté scientifique internationale depuis 20 ans (rappelons que c'est Mariner 9 qui envoya en 1971 les premières données significatives sur Mars).

 

 Crédit CNES/ESA

La recherche de l'eau sous toutes ses formes est bien sûr au coeur de ces observations menées par :

- le radar Marsis, doté d'une antenne de 40 m pour sonder la surface jusqu'à une profondeur de 2 km à la recherche de nappes aquifères sous le permafrost ou de glaces.

-Le spectromètre OMEGA qui doit dresser la première carte minéralogique complète de Mars avec une précision de 100 m.

- le spectromètre PFS qui doit compléter cette minéralogie et dresser un profil vertical des gaz et poussières de l'atmosphère martienne pour cerner sa dynamique et sa circulation globale.

- l'expérience radio MaRS et le spectromètre SPICAM (UV et infrarouge) doivent aussi sonder l'atmosphère en utilisant notamment des occultations d'étoiles.

- l'installation ASPERA mesure l'impact des ions du vent solaire pour comprendre les interactions de ce dernier avec la haute atmosphère et les processus qui ont pu dans le passé, en l'absence de champ magnétique, disperser l'essentiel de l'atmosphère primitive de Mars dans l'espace.

-Enfin la caméra HRSC conçue par l'Université de Berlin doit effectuer une cartographie complète de Mars en 3D à 10 mètre de résolution et peut même descendre sur certains détails à 2 m ! Cet instrument le plus puissant en imagerie autour de Mars à ce jour est essentiel pour étudier la morphologie des roches et la topographie des grands reliefs martiens.

De l'eau stockée sous le pergélisol? MARSIS nous le dira... mais Mars Odyssey en a déjà trouvé (crédit : ESA)

Les enjeux scientifiques de la mission Mars Express sont de répondre à des questions essentielles concernant l'évolution de Mars :

- Où est passée l'eau qui a creusé ces reliefs d'érosion, canaux, canyons et mesas, vallées encaissées et dépôts stratifiés révélés notamment par les images à haute résolution de la caméra MOC de Mars Global Surveyor ?

S'agissait-il d'inondations cataclysmiques très brèves liées à des impacts ou Mars a-t'elle connu une phase diluvienne ?

- Quel a été le rôle exact des vents et de l'activité volcanique dans la formation et l'érosion du relief de Mars et cette action se poursuit-elle?

- Mars a t'elle gardé dans sa géologie les traces d'un passé chaud et humide où des mers ont pu subsister pendant des millions d'années et une évolution prébiotique se produire ?

- Comment ensuite a t'elle pu perdre son atmosphère dense de CO2 et se refroidir jusqu'à devenir un monde froid et stérile avec un air très ténu?

- Si la vie s'est développée, dans quelles niches a t'elle pu se réfugier quand la surface de Mars s'est transformée (à quel rythme?) en désert péroxydé ? Quels indices biomarqueurs pourraient exister aujourd'hui ?

Mars vu par Hubble en 2003 :

Nous verrons dans un second volet que si les découvertes de Mars Express ne permettent pas à elles seules de répondre à toutes ces questions, elles accumulent les éléments du puzzle qui permettra bientôt aux scientifiques d'élaborer un scénario global de l'évolution de notre voisine...

 

 SOURCES / Sites ESA/CNES.

 

 

* I/ Instruments embarqués sur Mars Express:

 

Instrument

Name

Principal
Investigators

Institute

ASPERA

Energetic Neutral
Atoms Analyser

R. Lundin

Swedish Institute of
Space Physics,
Kiruna, Schweden

BEAGLE-2

Geochemical Lander

C. Pillinger

Open University, Milton Keynes, Großbritannien

HRSC

High/Super Resolution
Stereo Colour Imager

G. Neukum

Free University Berlin, Germany

MaRS

Radio Science Experiment

M. Pätzold

University of Cologne, Germany

MARSIS

Sub surface Sounding
Radar/Altimeter

G. Picardi

University of Rome, Italien

OMEGA

IR Mineralogical Mapping Spectrometer

J-P. Bibring

Institut d'Astrophysique
Spatiale, Orsay, Frankreich

PFS

Planetary Fourier
Spectrometer

V. Formisano

Istituto Fisica Spazio
Interplanetario, Rome, Italien

SPICAM

UV and IR Atmospheric
Spectrometer

J-L. Bertaux

Service d'Aéronomie, Verrières-le-Buisson, Frankreich

 

* II/MISSIONS

Missions

 

Objectifs

Lancement

Agence spatiale

Mars Odyssey

 

Analyses de la composition élémentaire de la surface sur la totalité de la planète

2001

NASA

Mars Exploration Rovers (MER)

 

Analyses in situ des roches

2003

NASA

Mars Express / Beagle-II (échec de l'atterrisseur)

 

- Cartographie minéralogique
- Cartographie de la surface
- Analyses de l’atmosphère
- Sondage du sous-sol
- Datation des roches

2003

ESA

Nozomi (échec)

 

- Etude du champ magnétique
- Analyse de l’atmosphère et de l’ionosphère

1998 / 2004

ISAS

Japon

Mars Reconnaissance Orbiter(MRO)

 

- Cartographie à très haute résolution pour sélection de sites d’atterrissage
- Etude minéralogique de la surface
- Sondage radar du sous-sol (Sharad) 

2005

NASA

Phoenix (missions Scout , série de petites missions )

 

Lander devant analyser des échantillons de glace au pôle Nord

2007

NASA

Mars Science Laboratory 

 

- rover laboratoire mobile pour étudier in-situ des habitats possibles d'une vie passée/présente

2009

NASA

Mars Telecommunications Orbiter   Hub de communication à gros débit Terre/Mars par laser

2009

NASA

 

 

 

Au milieu des années 1990, la NASA lance un projet ambitieux d’exploration martienne. Celui-ci prévoit l’envoi tous les 26 mois d’une mission vers Mars. Les restrictions budgétaires de la politique spatiale américaine ont cependant  freiné un temps le développement de ce programme encore en cours. Les succès des rovers MER et la nouvelle vision vers Mars impulsée par l'administration actuelle devraient lui donner les moyens de le relancer.

 

Publié dans solarnews

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